Coup de sirocco dans le marais.

 

Niort accueillait les 16 et 17 mars derniers, le Championnat de France de Grand Fond décomposé en un contre la montre individuel de 3000 ou 5000 m, suivi le lendemain par une course sur route longue distance (de 30 à 84 km selon la catégorie). Si cette épreuve vient tôt en début de saison, c'est que l'effort à consentir n'est pas des moindres. Au demeurant, il requiert une préparation hivernale spécifique et exigeante.

 

Le circuit, initialement prévu en bordure du marais poitevin, a été déplacé au dernier moment, dans un faubourg de la communauté urbaine, et surtout réduit à 2.5K au lieu des 14K annoncés, au grand dam d'un certain nombre de patineurs restés finalement au chaud à la maison.

 

Comme de bien entendu, la météo capricieuse du mois de mars, allait donner un cachet tout particulier à l'événement, sans pour autant ternir son ambiance traditionnellement conviviale et printanière : de fait, tout le petit monde du patinage français se retrouve après la "pause" hivernale, l'occasion de colporter les dernières nouvelles, de découvrir de nouveaux visages, comparer les nouvelles combinaisons ou bien encore scruter les dernières évolutions matérielles : roues, platines, casques…

 

Les infortunés seniors B, rebaptisés "Nationale" depuis peu, ont tôt fait de vérifier que pluie, vent et contre la montre font décidément très mauvais ménage. Ajouter à cela un circuit à nombreux angles droits, avec notamment une portion champêtre type Paris-Roubaix, des plus indignes, s'agissant de patineurs que d'aucuns ont tendance à confondre avec cascadeurs. Heureusement, grâce à un tirage de dossards plutôt favorable, nos courageux violet évitent la douche niortaise et la bérézina subséquente.

 

Eric "the rabitt", pâle et amaigri, car encore sous l'emprise d'une grippe de cheval contractée au ski, réussit à endormir le starter avec sa mine déconfite et ses paupières lourdes : si bien que l'officiel en oublie le décompte pour se réveiller en sursaut avec l'intéressé sous les quolibets d'une foule suspendue à la pendule. Notre infortuné puciste ne fera pas cas de ces secondes perdues, tant son état lui interdisait de toute façon d'actionner le turbo. On ne peut pas en dire autant de Yannick et ses chaussettes "Titi et Rominet", qui accomplit le tour de force de revenir sur une paire de coéquipiers partis 2 minutes avant lui, se classant finalement sixième de l'épreuve, à une queue de cheval du podium...

 

 

La pluie s'invite, sème la pagaille, puis repart, lorsque arrive le tour des féminines avec Super Ghizlane, que l'on sent gonflée et remontée à bloc. Elle touche au but, elle a affiché ses ambitions, pointé l'objectif. Ce sont ses premiers championnats. Ghizlane, c'est la rideuse parisienne type, élevée à l'école de la rue, que vous croiserez au prochain carrefour, baladeur vissé aux oreilles, en train de danser le jerk ou la techno sur ses quads. Que s'est-il dit dans l'alcôve de la chambre d'appel avec coach Caro ? Le long voyage depuis Paris aura-t-il été digéré ? Le claquage assassin de septembre n'est-il plus qu'un lointain et mauvais souvenir ? Ses abducteurs tiendront-ils le choc face à un revêtement encore tout trempé ? Les semaines d'efforts dans la grisaille et le frimas, les entraînements solitaires et les séances de muscu en veux-tu en voilà, les privations diététiques et de toutes sortes, tout cela en valait-il vraiment la peine ? Et puis surtout, était-elle suffisamment mûre pour se jeter de but en blanc dans la mêlée, quand on sait la qualité et l'expérience de l'école française du patinage à ce niveau ? Ghizlane est désormais seule contre elle-même et fait fi des autres. Elle s'est avancée lentement sur la ligne en revêtant ce casque d'extra-terrestre, ramené du Texas par Olivier et gracieusement transmis à Caro. Toute une chaîne de Pucistes attend à l'unisson le décompte du starter.

 

 

3,2,1... Ca y est, c'est parti, la gazelle a bondi et s'envole vers son destin, les bras hauts et droits dans le ciel : un style tout à l'énergie, peu orthodoxe mais diablement efficace... Pendant ce temps, les favorites ont répondu présentes et abaissé significativement la butée temporelle. Les records du tour tombent comme les averses de tout à l'heure. Le speaker commencent à s'enflammer. On attend deux Salomon qui s'étaient auparavant élancées, altières et athlétiques, dans leurs combinaisons jaunes et noires : l'une d'elles est la tête de série, une massive hollandaise de Lyon qui a enlevé l'an passé la French Inline Cup ; on la sait hyper préparée et hyper motivée aussi. La carnassière réapparaît déjà, exacte au rendez-vous, le chrono d'Angélique Pointard, une autre des grandes favorites, est explosé : de 5'37", on passe à 5'24", une rumeur d'étonnement et d'admiration se répand dans les rangs. Les Pucistes, pas rassurés, se précipitent alors vers le dernier angle mort, impatients de voir arriver leur jument. Les secondes plombent le vide trop tranquille des rues. Le sablier s'égrène, interminablement. Est-elle dans le coup, saura-t-elle gérer son effort, soutenir le rythme, éviter la chute ? Et puis soudain, un bourdonnement, le phare d'une moto suivi d'une fléchette profilée qui déborde de face dans le virage et relance tant bien que mal, dans l'avant-dernière chicane. La gazelle semble se redresser un tantinet, porte sa main à la jugulaire comme pour essuyer ou soulever le bout de son heaume qui l'empêche probablement d'engouffrer d'ultimes et précieuses bouffées d'oxygène. Dernier lacet, notre héroïne se regroupe bien en ligne, puis remet le paquet en redéployant ses ailes d'albatros.

 

 

De part et d'autre, les hurlements de ses supporters hystériques la transportent jusque vers la camera finish, à 300 mètres en contrebas. Sa silhouette s'enfonce et disparaît progressivement dans le dénivelé. Et de nouveau, silence pesant, immobile, tandis que certains, montre en main, piquent un sprint, pris de je ne sais quel fol espoir. Le speaker s'emballe et annonce l'arrivée, incroyable : "5'22" !!! dossard 279... Ghizlane Samir, eh oui Mesdames et Messieurs, Ghizlane Samir nouvelle champi…" La suite c'est un petit nuage atomique, que dis-je, un maelström de pur bonheur qui nous fait zigzaguer comme des chatons fous et nous précipiter dans les bras les uns des autres. Je revois Caro foncer sur moi, en bondissant et en poussant ses hurlements de joie tel un cabri enragé, à gauche, à droite, en travers, et moi ruminant des nom de D… de nom de..., jusqu'en avoir le souffle coupé en la réceptionnant dans mes bras : "Outch! ...de D… c'est pas vrai, tu te rends compte, elle l'a fait, … ça y est, le premier titre du PUC !"…

 

 

J'imagine les mêmes scènes en contrebas, à l'arrivée, avec la nouvelle championne que l'on retrouve enfin, cheveux au vent et visage radieux, dévisagée par un public de connaisseurs stupéfait de ne pas l'avoir connue plus tôt, et escortée par nos gars qui ne cessent de la féliciter, de la complimenter, et chacun de raconter et de refaire la course pour prolonger cet instant d'éternité… Ah, comme tout peut basculer et paraître soudain si facile et si magnifique... à quelques chouillas de secondes près.

 

L'euphorie retombée, il faut déjà penser à la suite et envisager l'autre course, celle du lendemain. C'est clair, la nouvelle championne, en même temps que son maillot et sa médaille, aura gagné le non enviable statut de "tête de série", autrement dit de "patineuse à abattre". Il n'y aura plus d'effet de surprise, les grandes vaincues du jour, sous le coup d'un KO bien compréhensible - et partant, assez jubilatoire -, doivent être en train de cuver leur déception tout en fomentant déjà leur revanche : le sport est une perpétuelle révolution de palais.

 

 

En attendant, c'est au tour de nos valeureux vétérans de prendre part à une empoignade musclée sur 42K. Le circuit n'a pas séché, pire, de la boue s'est mêlée aux flaques, transformant certaines courbes cruciales en parties de savonnettes d'intervilles. Pascal A. n'y coupe pas et se vautre dans le premier virage comme un seul homme, sans rien comprendre (- " Ah bé c'est simple : je n'ai rien bu, rien vu, rien entendu ! " devait-il déclarer plus tard, en conférence de presse) : il se relèvera néanmoins et repartira terminer son dû, courageusement, malgré des douleurs musculaires lancinantes consécutives au manque d'accroche. Guy l'increvable, notre sex-agénaire-machine impeccablement reconverti de la petite reine aux petites roulettes, n'arrive pas mettre la gomme du fait d'un malheureux choix de... roues. Il réalise toutefois une remarquable course dans le deuxième peloton, accompagné de Fred et Laurent, ce dernier tentant crânement (un peu trop même ?) une échappée de côte, à deux tours de l'arrivée. Le finish sera quelque peu mouvementé pour notre vétéran en chef, foudroyé par une crampe qui l'envoie illico au tapis, à quelques mètres à peine d'une ligne qu'il finira tout de même pas franchir non sans amertume. Le malheur voudra qu'il se fasse vraiment mal (3 côtes cassées) quelques heures plus tard, en chutant inopinément… dans la baignoire de sa chambre d'hôtel…!

Dîner frugal en soirée et en famille, les uns récupérant de leurs efforts ou de leurs douleurs, les autres se préparant à sombrer dans une nuit trop courte...

 

 

9h00 sous le crachin, c'est le coup d'envoi des 70K pour les seniors nationale avec un peloton épais de 120 patineurs. Les écarts se creusent d'emblée : devant, la course est dure, très dure, le temps réalisé à l'arrivée, 2h10, constituera une performance remarquable, eu égard aux conditions de course. Seul Yannick arrive à tenir la cadence, jusqu'au moment où il s'effondre et abdique, squeezé par une fringale, à quelques tours de l'arrivée. Derrière, Eric, Karim, Thierry, Walter, Michael et les autres ont su trouver leurs rythmes et leurs pelotons, qu'ils n'hésiteront pas parfois à mener et à emmener. Ils termineront tous passablement éprouvés, mais ils termineront ("énorme" - le mot est faible - problème de pied pour le Réunionnais Willy Samoussa, stoïque et opiniâtre au plus fort de la douleur : " – J'ai alors pensé très fort à ma petite femme et à mon stage commando en Guyane, tout est devenu clair et si relatif dans mon esprit que mon corps pouvait aller en se décomposant, j'étais sûr de patiner jusqu'au bout..." (sic).

 

C'est enfin au tour des filles de se crêper le chignon pour un dernier round sans concession. Deux groupes se sont formés : Ghizlane navigue à vue dans le premier, surveille, contrôle, gère en limitant les risques, Séverine s'accroche vaillamment dans le second, malgré ses "bottes" de descendeuse pas vraiment adaptées aux sept lieues à couvrir. Qu'importe, elle est venue pour apprendre et ne sera en aucun cas déçue du voyage. Retour sur notre gazelle qui fait montre d'une courtoisie et d'un fair play des plus rares, lorsqu'il s'agit d'aider la favorite et championne en titre, Angélique Pointard (battue à plate couture la veille au soir), à revisser une roue récalcitrante à 30 km/h. C'est à peine si les autres adversaires ne tentent d'en profiter en faisant mine de prendre la tangente.

 

 

Finalement, l'opération mécano de l'espace se déroule bien, le peloton des leaders reste groupé jusqu'à l'arrivée, à ceci près que, Linda, la hollandaise déchue, régresse et se retrouve définitivement hors du coup. Le danger viendra donc d'ailleurs, mais de qui ? Tout se joue dans les derniers virages. Ghizlane s'est malencontreusement mis dans le sillage d'une ex-élite qui se relève sans prévenir, jugeant futile de devoir disputer le sprint final. Il n'en faut pas plus à Angélique pour analyser et saisir l'opportunité : c'est précisément cet instant qu'elle choisit pour lancer un dernier rush dévastateur qui lui fait conserver haut la main sa couronne de l'an passée. Ghizlane réalise le piège, se dégage de l'étau, mais il est trop tard pour pouvoir remonter sur sa dauphine de la veille laquelle s'est engouffrée dans la brèche et s'empare de la deuxième place.

 

 

Les Pucistes accourent pour exprimer réconfort et satisfecit à leur championne quelque peu dépitée : outre une expérience à méditer, cela débouche mine de rien sur un deuxième podium avec une belle et rutilante médaille de bronze à l'arrivée (la collection sera complétée deux mois plus tard par de l'argent aux Championnats de France Route).

 

L'édition 2002 du Grand Fond s'achevait l'après-midi chez les élite, par un duel époustouflant d'homme à homme, entre le king du moment, Pascal Briand, et son vieux pote recordman mondial de l'heure, Tristan Loy. Au delà du palmarès qui fera date dans notre jeune histoire, sincères remerciements à toutes et tous pour ces excellents et mémorables moments.

 

jfc 2002

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